Vous avez peut-être déjà ressenti, en tant que dirigeant ou manager, cette pression à « tout contrôler » et à rester impassible face aux difficultés. Pourtant, vous découvrez parfois à vos dépens qu’ignorer votre propre vulnérabilité et négliger les émotions de vos collaborateurs peut avoir des conséquences lourdes.
Dans l’article suivant, je vais m'appuyer sur mon expérience en tant que directeur d'une école d'enseignement supérieur, pour vous montrer comment mon ignorance des émotions m'a mené à l'épuisement :
" J’ai appris à mes dépens que ne pas écouter mes émotions avait des conséquences.
Quand j’ai commencé comme chef de projet, personne ne m’avait expliqué que mettre la pression et faire claquer le fouet n’était pas la solution pour motiver les troupes. (…)
Quand je suis devenu responsable de production, on ne m’a pas dit que retenir sa frustration puis la laisser exploser ne résolvait pas les problèmes. (…)
Quand j’ai pris un poste de direction, je n’avais aucune conscience qu’on n’attendait pas de moi d’être parfait et de tout contrôler. Plus j’essayais de rigidifier ma posture, plus mes angoisses montaient. (…)
Je suis maintenant convaincu que quand je suis à l’écoute de mes émotions, même les plus désagréables, je m’aide à dépasser mes blocages, mes limites et mes peurs, au service de mon entreprise. "
Ce que j'ai vécu pointe directement le manque de conscience émotionnelle et de connaissance des besoins, deux piliers d’un leadership authentique.
L’importance de la conscience et de la maîtrise de ses émotions
Vous avez peut-être l’impression qu’un dirigeant « ne doit pas se laisser submerger » et se convaincre que « les émotions n’ont pas leur place au travail ». En réalité, les émotions sont un langage précieux pour comprendre à la fois ce qui se joue en vous et chez vos collaborateurs.
- Prendre conscience de vos émotions, c’est reconnaître ce qui se passe dans votre esprit et dans votre corps avant que la colère, la peur ou la fatigue ne vous amènent à des comportements défensifs ou agressifs. Vous apprenez ainsi à identifier vos ressentis (tension, accélération du rythme cardiaque, irritabilité) et à analyser ce qui déclenche ces réactions.
- Maîtriser ses émotions veut dire qu'il ne s’agit pas de les nier ou de les enfermer. Au contraire, il s’agit de leur faire une place et de canaliser l’énergie qu’elles procurent de manière constructive.
Par exemple, si vous sentez de la colère monter lors d’une discussion, votre objectif n’est pas de « l’écraser », mais de comprendre le message qu’elle véhicule (injustice, contrariété, besoin non satisfait) pour éviter d’exploser ou de blesser votre interlocuteur.
Cette approche lucide vous permet aussi de mieux appréhender les émotions de vos collaborateurs.
Un responsable de service qui se met en colère peut, en réalité, exprimer un besoin d’aide ou de reconnaissance.
Un employé qui refuse un nouveau projet peut cacher une peur de ne pas être à la hauteur.
En sachant identifier ces signaux, vous gagnez du temps et vous désamorcez bon nombre de conflits avant qu’ils ne prennent de l’ampleur.
Les problématiques majeures liées au déni des émotions de vos collaborateurs
Ignorer l’impact des ressentis de votre équipe peut engendrer diverses difficultés :
Lorsque le manager adopte une posture inflexible et refuse d’entendre les inquiétudes de son équipe, il crée un contexte où l’insécurité et le doute s’installent.
Par exemple, dans une entreprise où le responsable exige constamment des résultats immédiats sans jamais tenir compte des retours d’épuisement ou de surcharge, certains collaborateurs préfèrent partir, emportant avec eux leur expertise et leur connaissance du terrain.
La conséquence directe est alors un turnover élevé, qui oblige l’organisation à passer son temps à recruter et à former de nouveaux arrivants, au détriment de la stabilité et de la performance globale.
Dans la même logique, un dirigeant qui se montre peu réceptif aux ressentis de ses salariés entretient un climat de méfiance et de tensions.
Il suffit qu’il balaie d’un revers de main les retours sur un dysfonctionnement pour que les employés, se sentant incompris, cessent de partager leurs difficultés.
Cette accumulation de non-dits peut conduire à une rupture du dialogue dans un service où personne n’ose plus signaler les erreurs commises, augmentant ainsi les frustrations et le stress collectif.
Par ailleurs, un collaborateur dont les besoins émotionnels ne sont jamais reconnus finit par se désengager progressivement de son travail.
Imaginons un employé qui consacre de nombreuses heures supplémentaires à un projet sans jamais recevoir le moindre signe de reconnaissance : il s’épuise, perd toute motivation et menace la qualité du service rendu.
À terme, l’équipe se retrouve avec un collègue démoralisé, dont les performances déclinent, ou doit gérer les conséquences d’un éventuel burn-out.
Enfin, négliger les signaux humains, tels que la fatigue, les désaccords profonds ou un stress prolongé, aboutit inévitablement à des décisions éloignées de la réalité du terrain.
Il suffit, par exemple, qu’un supérieur fixe des objectifs irréalistes sans écouter les alertes de son équipe pour que l’ambiance se dégrade encore davantage.
Les collaborateurs, déjà sous pression, subissent alors une exigence impossible à satisfaire, ce qui renforce les tensions internes et augmente le risque d’échecs ou de conflits ouverts.
Les freins qui empêchent de progresser
Malgré les conséquences parfois graves, beaucoup de dirigeants restent bloqués par des freins qui les empêchent d’adopter une approche plus émotionnelle et empathique.
La conviction selon laquelle manifester ses émotions serait un signe de faiblesse conduit de nombreux managers à refouler tout élan empathique, par crainte d’être perçus comme trop permissifs ou vulnérables.
Un dirigeant qui redoute de partager sa propre anxiété lors d’une période de surcharge de travail préfère afficher un masque d’assurance. Cela empêche l’équipe de se sentir légitime dans ses propres difficultés et aggrave la distance hiérarchique.
Par ailleurs, le biais de supériorité, souvent renforcé par le statut et le pouvoir, encourage certains responsables à estimer qu’ils n’ont pas à se remettre en question. Dans un service où la pression monte, ils peuvent ainsi ignorer les plaintes répétées des collaborateurs et ne prendre conscience du malaise qu’au moment où la démotivation ou l’absentéisme prolifèrent.
S’ajoute également le phénomène de dissonance cognitive : le dirigeant veut bâtir une culture de confiance, tout en conservant une posture très autoritaire.
Cette contradiction engendre un flottement dans l’équipe, qui ne sait plus si elle doit s’exprimer librement ou se soumettre à la rigidité de sa direction.
Dans le même ordre d’idées, la peur du jugement pousse certains leaders à taire leur propre stress, redoutant de perdre en crédibilité s’ils admettent se sentir dépassés.
Par exemple, un responsable technique, rongé par l’inquiétude face à un projet complexe, ne demandera pas d’aide et imposera à ses équipes des objectifs non réalistes, amplifiant l’épuisement collectif.
Enfin, la norme culturelle qui privilégie le tout-rationnel amène certaines entreprises à considérer l’émotion comme un facteur perturbateur, plutôt que comme un moteur de créativité et de décision éclairée.
Dans un tel contexte, il n’est pas rare de voir des innovations freinées, parce que les idées émanant d’émotions fortes (comme l’enthousiasme ou la frustration) ne sont pas jugées recevables, laissant ainsi passer de possibles opportunités de progrès.
Comment l’intelligence émotionnelle éclaire la sortie de ces impasses
Développer son intelligence émotionnelle est un chemin actionnable pour dépasser ces freins.
L’intelligence émotionnelle implique :
- La conscience de soi : identifiez vos ressentis, décodez les messages qu’ils portent.
- La gestion de vos émotions : vous apprenez à respirer et à prendre du recul dès que votre pression monte, afin de réagir lucidement.
- La conscience sociale : vous percevez plus subtilement ce que vivent vos collaborateurs, ce qui les blesse ou les rassure.
- La maîtrise de la relation : vous pratiquez l’écoute active, la reformulation et l’empathie, ce qui permet de désamorcer des conflits en amont.
Ces stratégies émotionnelles réduisent considérablement l’ampleur et la durée des affrontements.
Quand un désaccord surgit, vous avez la capacité de creuser la raison véritable des tensions et d’y remédier.
Exemples concrets de solutions
Proposer des temps d’échange en tête-à-tête avec chaque collaborateur s’avère un premier levier, car ces rendez-vous réguliers offrent un espace où chacun peut évoquer ses difficultés et exprimer ses besoins.
Un membre de l’équipe, qui se sent frustré par une répartition de tâches inégale, a alors l’occasion de le formuler clairement et de bénéficier d’un soutien ciblé, ce qui prévient bien souvent l’escalade de tensions.
Dans la même optique, l’animation d’ateliers autour d’un sujet délicat, comme l’adoption d’un nouveau logiciel, permet à chaque participant de verbaliser ses attentes ou ses craintes.
En créant ce climat ouvert et sécurisé, vous récoltez des propositions concrètes pour faciliter le changement, tout en évitant que les non-dits ne s’accumulent.
Enfin, recourir à des méthodes éprouvées en cas de conflit entre deux responsables représente une démarche efficace pour clarifier les positions et les besoins conjoints et ainsi co-construire une entente équitable.
Imaginez deux managers qui s’opposent sur la mise en place d’une nouvelle procédure. Une rencontre avec un arbitrage objectif permet de valider la légitimité de leurs points de vue, sans prendre parti. Elle aboutit généralement à un compromis plus solide et mieux accepté par l’ensemble de l’équipe.
Conseils pour résoudre ces problèmes de manière organisée
Étape 1 : Diagnostiquer la situation
Prenez un temps pour observer le climat de votre équipe. Repérez les signaux de mal-être (absentéisme, irritabilité, perte d’engagement). Identifiez vos propres réactions : avez-vous tendance à minimiser les conflits ou à pointer du doigt les « mauvais éléments » ?
Étape 2 : Clarifier les rôles et les objectifs
Les conflits naissent souvent d’une ambiguïté dans les missions ou les attentes. En clarifiant le qui-fait-quoi, vous réduisez les incompréhensions. Attention toutefois : même si l’organigramme est clair, les collaborateurs peuvent manquer de sens ou de reconnaissance.
Étape 3 : Mettre en avant la parole émotionnelle
Proposez des points réguliers où l’on aborde autant le « quoi » que le « comment ». Par exemple, en début de réunion, prenez quelques minutes pour que chacun puisse partager son ressenti sur la charge de travail ou les réussites récentes. Vous montrez ainsi que vous accordez de la valeur aux ressentis, pas seulement aux chiffres.
Étape 4 : Pratiquer l’écoute empathique
- Écouter sans interrompre : laissez le collaborateur formuler ses difficultés.
- Reformuler : « Donc, si je comprends bien, tu te sens débordé par le manque de clarté ? »
- Identifier les émotions cachées : la colère masque parfois un sentiment d’injustice ou de peur.
- Proposer un dialogue de co-construction : cherchez ensemble comment résoudre le problème, en tenant compte de ses besoins et des vôtres.
Étape 5 : Suivre l’évolution et ajuster
Rien n’est figé.
Fixez une date pour faire le point.
Est-ce que les solutions trouvées fonctionnent ?
Faut-il revoir la répartition des tâches ?
Votre leadership doit devenir un fil rouge, un état d’esprit que vous ajustez au fil des retours.
Plan d’action simple pour commencer
L’auto-diagnostic émotionnel constitue une première étape essentielle.
Prenez le temps, chaque soir pendant une semaine, de noter un moment précis de stress, de joie ou d’agacement. Débusquez la cause sous-jacente, qu’il s’agisse d’une crainte de l’échec ou d’un sentiment de frustration.
Testez ensuite l’expérience de l’écoute active. Lors du prochain entretien avec un collaborateur, prenez le temps de vous concentrer deux ou trois minutes sur la reformulation de ses propos, sans juger ni interrompre.
Cette approche permet souvent de calmer un début de tension et de nourrir la confiance.
Instaurer également une courte « météo émotionnelle » en début de réunion, où chacun partage son état d’esprit
Un seul mot libère la parole et clarifie rapidement d’éventuels malentendus.
Enfin, proposer un rendez-vous régulier de feedback, toutes les deux semaines.
Donnez aux équipes l’occasion de discuter des progrès, des difficultés et des réussites récentes, contribuant à maintenir une dynamique positive et à ajuster collectivement l’ambiance de l’équipe.
En conclusion : une performance collective renforcée
En cultivant la conscience et la maîtrise de vos émotions, vous libérez un potentiel énorme pour votre organisation.
Vous contribuez à créer un environnement dans lequel vos collaborateurs osent parler de leurs ressentis, prendre des initiatives et s’impliquer durablement.
Un climat de confiance fait baisser la tension, prévient l’épuisement et favorise une prise de décision plus cohérente.
Mon témoignage au début illustre à quel point on peut se faire piéger par l’illusion du « leader infaillible ».
j'ai appris, au prix d’un épuisement, que reconnaître ses vulnérabilités et comprendre son monde émotionnel ne retire rien à la légitimité d’un décideur. Au contraire, cela aide à grandir, à créer un environnement plus équilibré et à donner envie à ses équipes de le suivre.
En bref, développer un leadership authentique basé sur la conscience de soi et la gestion saine de vos émotions, c’est non seulement humainement gratifiant, mais c’est aussi un vrai atout pour la performance de votre entreprise.
Vous consolidez ainsi votre crédibilité et vous inspirez la confiance.
Vos collaborateurs percevront qu’ils peuvent venir vous voir sans craindre d’être jugés, et les conflits perdent peu à peu leur caractère insidieux pour devenir de vraies occasions de progrès.